Le loin-près...
Ce nom que toutes les femmes pourraient donner à leur mari : le loin-près.
Ni jamais là, ni jamais ailleurs, ni jamais absent, ni vraiment présent !
La douleur
est dans la vie des femmes comme un chat qui se faufile entre leurs jambes quand elles repassent le linge, refont les lits, ouvrent les fenêtres, épluchent une pomme. Un chat qui parfois leur
prend le cœur, l’envoie rouler à plusieurs mètres, le reprend dans ses griffes, en joue comme d’une souris mourante. Ce chat est dans la vie des femmes même quand il les laisse en paix. Elles
savent qu’il est là, dans un coin. Elles ne l’oublient jamais. Jusque dans la joie elles l’entendent respirer, comme on perçoit le chant d’une source sous tous les bruits de la forêt.
Les hommes ne laissent pas la souffrance séjourner en eux. A peine l’ont-ils devinée qu’ils l’expulsent en violence, en colère, en travaux… »
Christian Bobin. Le Très-bas.