Pas de trop surtout, restons raisonnables...
« Il ne faut pas exagérer » me dit le chrétien moderne pendant
qu’il s’emmitoufle et se carre au fond de sa voiture, au sortir de la messe de minuit, « ne soyons pas plus catholiques que le pape, accommodons nous des imperfections du siècle. Pas de
violence, nous ne sommes pas des mahométans… ». Cette attitude me désarme ; on aimerait mieux avoir affaire aux plus bruyants hérésiarques avec qui l’on pourrait se colleter, mais par
où les prendre, par où les empoigner, ces huileux adhérents du christianisme contemporain ? On voudrait leur administrer des gifles que la main glisserait sur l’onctueuse bave dont leur
visage est barbouillé. Refusant de servir Dieu, mais tremblant quand même d’avoir, un beau jour, quelque chose à payer pour leur désobéissance, ces couleuvres ont imaginé une sorte de voie
moyenne par laquelle ils espèrent atteindre le ciel sans se donner trop de mal, et se glisser dans le Paradis en contrebande. On donne tant à Dieu et tant au Diable, on a la paix sur terre et au
ciel sans avoir à se faire arracher les ongles ni coucher à l’écurie. On observe la lettre des commandements qui sont faciles à tourner, du reste, et à interpréter dans le sens d’une fastueuse
largeur. Satan y trouve sa part sans que le Ciel puisse en toute bonne foi récriminer. On pipe l’un, on pipe l’autre. Du moins, on le croit.
Julien Green, On est si sérieux quand on a 19 ans.