À la mesure de l'univers
«Et maintenant, il est trop tard, répond Ari, pétri de remords. Anna esquisse un sourire, elle lui caresse à nouveau la main et lui dit, quelle sottise, il n’est jamais trop tard tant qu’on est en vie. Aussi longtemps que quelqu’un est vivant.»
Après plusieurs années d'absence, Ari rentre en Islande. Il est devenu éditeur et a récemment quitté sa femme. À Keflavík, la neige recouvre tout mais les souvenirs affleurent. Dans ce village de pêcheurs interdits d’océan, marqué par la présence d’une base militaire américaine, Ari retrouve de vieilles connaissances. Lâchetés, trahisons et amours du passé resurgissent alors que le père d’Ari se meurt.
Poursuivant le diptyque commencé avec D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, Jón Kalman Stefánsson entremêle les destins singuliers des habitants de cette île immuable et mélancolique.
Jón Kalman Stefánsson, À la mesure de l’univers. Trad. de l’islandais par Éric Boury. Gallimard, 438 p.
" Combien de jours vivons-nous sur cette planète, qui, au fil d'une vie, comptent réellement, de jours où des choses sont susceptibles d'advenir, qui rendent notre existence plus lumineuse et plus pleine le soir qu'elle l'était le matin — combien de jours ? "
"... il hésite en voyant une pancarte qui propose en anglais et en Islandais Massage. Nudd.
Une vague de chaleur lui parcourt le corps.
Il ferme les yeux.
Pourquoi faut-il que nous soyons si démunis face au désir sexuel, pourquoi ne pouvons-nous pas simplement le ranger dans notre poche pour ne l'en sortir qu'au moment approprié ? Quand la machine immémoriale du désir se met en route chez Ari, comme elle le fait régulièrement chez tout le monde sans se soucier de l'heure, du jour, ou de l'endroit où nous sommes dans l'existence, pour emplir notre sang de l'envie d'une chose excitante, exaltante, d'un objet tout en vulgarité ou en délices charnels, il est arrivé qu'Ari aille sur Internet et qu'il entre les termes erotic massage dans le moteur de recherche, cela explique peut-être la gêne qu'il ressent à la vue de cette pancarte innocente qui annonce Massage — Nudd. Ari ouvre les yeux, il pose sa main sur la poignée, entend le chauffeur accélérer brutalement comme pour se mettre à l'abri, comme pour n'être pas témoin de cette chose-là, puis il disparaît en bas de Hafnargata. La porte est fermée à clef. Ouf, se dit Ari, soulagé, mais c'est alors, qu'une voix rauque et masculine rompt le silence : Tu as rendez-vous, l'ami ? " ...
— à quel moment vit-on vraiment, et pourquoi l'amour se change-t-il en une habitude qui apporte à l'être humain plus de sécurité que de bonheur ? Oui, comment se fait-il qu'avec les années, on ait de plus en plus de mal à discerner l'amour de l'habitude tu ne trouves pas ça terrifiant, doit-on simplement l'accepter ? S'il y a une chose qui devrait être évidente, c'est bien l'amour, non ? D'ailleurs, n'est-ce pas ce que vous, les poètes, êtes censés nous aider à comprendre — et vous pourriez peut-être nous expliquer, comme ça, en passant, pourquoi les gens peinent tellement à être heureux ; je veux dire, à quoi servent les poètes s'ils ne sont pas capables de nous aider à vivre ?
Jón Kalman Stefánsson, À la mesure de l’univers.