L'enfant-roi...
Au quinzième jour l'enfer était passé, définitivement. Pendant ces quinze jours je piétinais dans la mauvaise éternité des plaintes : j'avais l'impression que tu épousais le monde entier -sauf moi. C'est le petit enfant en moi qui trépignait et faisait valoir sa douleur comme monnaie d'échange.
Et puis j'ai vu que tu n'écoutais pas ce genre de choses et j'ai compris que tu avais raison, profondément raison de n'en rien entendre : le discours de la plainte est inaudible. Aucune trace d'amour là-dedans. Juste un bruit, un ressassement furieux : moi, moi, moi. Et encore moi. Au bout des quinze jours un voile s'est déchiré en une seconde. Je pourrais presque parler de révélation. D'ailleurs c'en est une. Tout d'un coup ça m'était égal que tu épouses le monde entier. Ce jour-là j'ai perdu une chose et j'en ai gagné une autre. Je sais très bien ce que j'ai perdu. Ce que j'ai gagné, je ne sais comment le nommer. Je sais seulement que c'est inépuisable.
L'enfant furieux a mis quinze jours pour mourir.C'est peu de temps, je le vois bien: chez d'autres il règne infatigable, tout au long de la vie.C'est ton rire devant mes plaintes qui a précipité les choses. C'est le génie de ton rire qui s'est enfoncé droit au cœur de l'enfant roi, c'est ta liberté pure qui m'a soudain ouvert tous les chemins.
Après la mort de l'enfant roi, et seulement après cette mort, l'enfance pouvait venir-une enfance comme un amour nomade, rieur, insoucieux des titres et des appartenances.
Christian Bobin, la plus que vive.