LE CRÉPUSCULE DE LA LIBERTÉ (Сумерки свободы)
Glorifions, frères, le crépuscule de la liberté,
La grande année crépusculaire.
La forêt lourde des rets
Plonge dans les eaux bouillantes de la nuit
C’est dans des années sourdes
Que tu te lèves, peuple-juge !
Glorifions le fardeau fatal de la puissance
Porté par le chef de tribu en pleurs.
Glorifions le fardeau ténébreux de la puissance,
Son joug indicible.
Celui, en qui bat un cœur, doit sentir, ô Temps,
Comme ton navire plonge.
Nous avons lié les hirondelles
En des légions guerrières.
Et le soleil n’est plus. Tout l’élément
Gazouille, bouge, vit.
À travers les rets serrés du crépuscule
Plus de soleil, et la terre vogue.
Tentons-le pourtant : un tour énorme,
Grinçant et gauche de gouvernail.
La terre vogue. Courage, humains !
Rayant l’océan comme avec une charrue,
Nous nous souviendrons même dans la froidure du Léthé
Que la terre nous coûta dix — ciels.
Ossip Mandelstam
(Мандельштам Осип Эмильевич)
1891 – 1938